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Face aux menaces sur le foncier, renforcer les pouvoirs des Safer ?

Accaparement et concentration ou encore, depuis plus récemment, consommation masquée de terres agricoles, affectent le potentiel de production de l’agriculture française à un moment où l’enjeu de la souveraineté alimentaire devient plus prégnant. Pour contrecarrer cette tendance, faut-il nécessairement renforcer le pouvoir des Safer ?

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Comment préserver notre foncier agricole pour sauvegarder notre souveraineté alimentaire ? La question a fait l’objet d’un colloque organisé au Sénat le 12 septembre par Henri Cabanel, sénateur de l’Hérault, et Terra Hominis, structure spécialisée dans le financement participatif dans le domaine viticole.

Les menaces sur le foncier sont en effet multiples : accaparement des terres aux mains de financiers, concentration et agrandissements excessifs, mais aussi consommation masquée, un phénomène qui prend de l’ampleur et qui désigne la consommation de foncier agricole par des non-agriculteurs qui les détournent ensuite de leur usage.

Une proposition de loi pour lutter contre le contournement des Safer

Ce phénomène a d’ailleurs été à l’origine d’une proposition de loi portée par le député basque Peio Dufau. Dans le cadre de la vente d’une maison à Arbonne avec 15 ha de terres agricoles, près de Biarritz, la Safer avait voulu se positionner sur le foncier, ce que le propriétaire a refusé. « On a occupé la maison jours et nuits pendant trois mois », témoigne le député, jusqu’à ce que l’acheteuse parisienne se rétracte. « Il fallait un moyen législatif pour empêcher ce phénomène-là », explique-t-il. 

Le texte prévoit deux mesures pour renforcer les pouvoirs des Safer : la possibilité de demander une cession entre les terres à vocation agricole et les bâtiments d’habitation, afin de préempter uniquement les terres, et celle de réviser le prix de vente si le propriétaire oblige la Safer à préempter l’ensemble et non uniquement les biens agricoles.

Adoptée à l’unanimité en mars par l’Assemblée nationale, la proposition de loi devait, en accord avec la ministre de l'agriculture Annie Genevard, être examinée au Sénat cet automne, mais le calendrier dépend désormais du nouveau gouvernement, explique Peio Dufau. Le texte avait, en tout cas, suscité de vives inquiétudes de la part de la Fédération nationale de l’immobilier (FNAIM).

Renforcer les pouvoirs des Safer : « il faut une acceptation sociétale »

La FNAIM n’est pas seule à s’attaquer aux Safer, et ces critiques risquent de s’accentuer si l’on donne à ces dernières davantage de compétences, prévient Emmanuel Hyest, ancien président de la FNSafer. « La Safer reste fragile, si on lui donne trop à faire notamment sur le bâti, attention, car comme pour tout outil de régulation, il faut une acceptation sociétale », explique-t-il.

Face aux attaques, il défend néanmoins un modèle autofinancé, à but non lucratif, et envié partout ailleurs. « 80 % des opérations des Safer coûtent de l’argent, 20 % en rapportent. Si on était de bons marchands de biens, on ne ferait que celles qui rapportent », rappelle-t-il, tout en ajoutant que ces opérations réalisées par les Safer le sont « sous le double contrôle du ministère de l’agriculture et du ministère des finances ».  

Des Safer « ouvertes » et « transparentes »

S’il reste prudent quant à la nécessité d’étendre encore le pouvoir des Safer, ce n’est pas, en tout cas, en raison de dérives potentielles.

Je n’ai pas dû faire plaisir à certains représentants de la FNSEA

Pour celui qui a passé 15 ans à la tête de la fédération nationale, « il peut y avoir des abus, il faut les dénoncer, toujours. Si aujourd’hui je suis là en tant qu’ancien président, et pas en tant que président, c’est parce que j’ai contesté le fait que des gens cherchent à avoir des passe-droits. C’est ce qui fait qu’aujourd’hui les Safer sont reconnues, que le législateur depuis 15 ans ne cesse de nous augmenter nos compétences ». Il faut préempter quand c’est nécessaire, même aux gens les plus hauts placés, ajoute-t-il, et « de temps en temps, ça ne plait pas : pendant 15 ans j’ai réussi à le faire, mais je n’ai pas dû faire plaisir à certains représentants de la FNSEA alors que pourtant j’en suis membre », déplore-t-il, en référence à son éviction de la Safer Normandie, qui lui a coûté son poste de président de la FNSafer.

Pour Emmanuel Hyest, les Safer ont été ouvertes et doivent continuer à être transparentes. Mais « quand vous êtes dans une région où, sur une attribution de Safer, vous avez entre 50 et 100 demandeurs dont la moitié de jeunes agriculteurs, moi je ne multiplie pas les hectares, si j’ai 100 ha à vendre je vends 100 ha, je ne peux faire plaisir qu’à un ou deux jeunes qui veulent s’installer et tous les autres -et je les comprends- disent que la Safer n’a pas bien fait son boulot », témoigne-t-il. Il faut, en revanche, orienter au mieux les exploitations et favoriser les transmissions, explique-t-il.

Enfin, le renforcement des prérogatives des Safer n’est pas la seule possibilité pour préserver l’usage agricole des terres : faire respecter le statut du fermage, réorienter les aides de la Pac, ou revoir le droit de l’urbanisme par exemple, font également partie des leviers évoqués par les participants au colloque.

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